Il a bravé les siècles et les tempêtes. Il en a vu passer des générations de meuniers et défiler des visiteurs, clients, voisins ou mariniers. Si le moulin pouvait parler, il en aurait des histoires à raconter sur la vie et les activités des hommes, autrefois, dans les marais : le sel d’abord, puis les huîtres, l’élevage, la pêche. Le moulin de mer des Loges, vraisemblablement construit entre le XIIe et le XVè siècle pour produire de la farine, a cessé son activité au début du XXe siècle, puis est resté à l’abandon jusque en 1990.
Le moulin, autrefois, ne se dressait pas solitaire au milieu des marais comme aujourd’hui. De grands navires marchands mouillaient dans l’estuaire de la Seudre à l’entrée des chenaux. De plus petits bateaux sillonnaient chenaux et ruissons, transportant des marchandises diverses, et approvisionnant les moulins en grains.
Une dizaine de moulins de mer, disséminés dans les marais sur les deux rives de la Seudre, produisaient de la farine. En arrière-plan, ponctuant le paysage de leur silhouette ailée, des dizaines de moulins tournaient dans le vent. La plupart des moulins de mer ont aujourd’hui disparu, et seul le bâtiment du moulin des Loges subsiste encore dans son intégralité.
C’est au Moyen-Âge que les hommes ont entrepris de conquérir et d’aménager les marais sur l’estran vaseux de la Seudre, pour y exploiter un potentiel inestimable véhiculé par l’eau de mer, « l’or blanc » : le sel. Pour développer des activités sur ces terres basses, pour les protéger de la submersion, il a fallu créer des endiguements : les « prises ». Des aménagements fragiles, soumis aux assauts de la mer, et nécessitant un entretien permanent.
Prise des Loges, Prise du Chêne, Prise du Petit Carlot, du Grand Chiffeu, Prise de Bonsonge, Prise de Brise-Miche…, chacun de ces noms évoque l’histoire d’une parcelle de terre âprement gagnée sur la mer. Peu à peu, les prises s’ajoutant les unes aux autres dessinent un nouveau territoire. Sur ce territoire, des sauniers s’installent. Au fil des siècles, les activités se diversifient. Saliculture, ostréiculture, agriculture coexistent, se partageant l’espace. Un partage qui nécessite une organisation rigoureuse, en particulier de la gestion en eau.
Le bassin de la Seudre constitue le plus vaste ensemble de marais maritimes salés du littoral français. L’histoire de ces terres gagnées sur la mer se confond avec l’histoire des hommes qui les ont modelées. Celle des moines du Moyen-Âge qui, les premiers, ont entrepris de conquérir les vases côtières de l’estuaire pour y produire du sel, dont le commerce avec l’Europe du Nord resta florissant jusqu’au début du XVIIe siècle. Celle des ostréiculteurs, des éleveurs, des pêcheurs, qui se sont installés, dès cette époque, sur les salines abandonnées. Sur le territoire du moulin des Loges, deux réseaux d’eau distincts, étroitement imbriqués, alimentent les marais, l’un en eau douce, l’autre en eau salée. En effet, ce site, irrigué naturellement en eau salée par l’estuaire de la Seudre, bénéficie, depuis la fin du XIXe siècle, d’une alimentation artificielle en eau douce, qui a permis le développement de nouvelles activités, en particulier l’élevage.
L’espace des marais autour du moulin, qui peut sembler de prime abord monotone et désert, est peuplé de mille vies animales et végétales, cohabitant dans les milieux salés, doux et saumâtres. Une flore originale et variée a colonisé ces milieux, présentant des espèces caractéristiques des différents milieux. Les marais abritent aussi une faune très riche : des oiseaux – canards et limicoles – migrateurs ou sédentaires, des reptiles, des batraciens, des crustacés et des poissons côtiers.
Espace frontière entre terre et mer, la zone des marais autour du moulin réunit les atouts naturels propices à l’épanouissement d’une flore et d’une faune exceptionnelles, et au développement de nombreuses activités humaines. Afin de sauver de l’abandon ce patrimoine naturel et culturel, le Conservatoire du Littoral a lancé, en 1998, un projet de réhabilitation et de mise en valeur du site. Confié par convention de gestion et d’animation à la Communauté de Communes du Bassin de Marennes en 2001 puis en 2017 à l'office de tourisme de l'île d'Oléron et du bassin de Marennes, la première phase des travaux est achevée en 2002 ; le bâtiment du moulin est restauré, et ouvert au public. L’espace muséographique retraçant l’histoire du marais de Seudre et inauguré le 26 juin 2003 démontre la volonté de faire du moulin des Loges un pôle d’intérêt culturel et environnemental local. Ce projet de mise en valeur du site s’inscrit désormais dans une perspective de développement durable des marais de la Seudre.